LITTERATURE ORALE AFRICAINE ET METHODES D’ANALYSE TEXTUELLE OCCIDENTALE : méthodes structurales formelle et génétique

Publié le par whisperingsfalls

LITTERATURE ORALE AFRICAINE ET METHODES D’ANALYSE

TEXTUELLE OCCIDENTALE : méthodes structurales formelle et génétique

 

NOKE SIMON FRANCIS

Doctorant en Littérature et Civilisations africaines

 

            Il existe un véritable malaise dans la critique littéraire africaine. Ce malaise est à cerner dans l’inexistence d’une  méthode spécifique africaine destinée à l’étude des textes de sa littérature. Devant ce malaise, le critique africain se trouve désarmé. Car il ne dispose dès lors que de méthodes de critique occidentale pour arriver à extraire dans les textes (textes oraux surtout) la substance utile à leurs compréhensions. Mais devant ce malaise, se trouve un autre problème : Celui de l’existence d’une panoplie de méthodes destinées aussi bien aux textes oraux qu’aux textes écrits. Il y a les approches formalistes qui, pour comprendre le texte ne l’étudient que d’une façon exclusive, c’est-à-dire qu’il n’est compris que dans son immanence. Pour d’autres approches comme celles génétiques ou encore historiques on ne peut comprendre le texte qu’en le référant à son contexte, c’est-à-dire à son origine, à la société qui l’a généré. C’est dans ces approches parfois tranchées que de véritables luttes d’école ont entraîné de querelles de positions parmi les théoriciens. C’est dans cette optique que Vladimir Propp dit : « (…) on ne peut parler de l’origine d’un phénomène quel qu’il soit avant d’avoir décrit ce phénomène. » Autrement dit, l’étude des légalités formelles ou l’étude structurale prédétermine ou précède l’étude des légalités historiques ou génétiques. Si l’essentiel du présent travail reste avant tout l’étude d’un texte oral : le conte Moundang : les mauvais génies du champ de mil[1] à l’aide de la méthode structurale de Claude Bremond, telle qu’exposée dans Logique du récit[2].  Après cette étude structurale, nous allons tenter de cerner ce conte en le réintégrant dans sa société génératrice, c’est-à-dire l’ethnie Moundang du nord du Cameroun   

   

            Le texte oral a ceci de spécifique qu’il n’est pas à l’image d’un roman, le produit de l’imagination d’un homme. Le texte oral est étroitement lié à la société qui le génère. Ce lien est si fort que l’on pourrait dire sans risque de se tromper, qu’il existe une relation de présupposition entre le texte et la société. Les deux sont consubstantiels. C’est pourquoi, dans l’étude du conte la question de savoir ce que font les personnages est tout aussi importante que la question de savoir : qui fait quelque chose et comment le fait-il ? Ainsi, il importe de dire, quelque peu dans la mouvance de Lévi-strauss que : « en matière de tradition orale, la morphologie est stérile à moins que l’observation ethnologique ne vienne la féconder[3] »  Ainsi, comme le dit bien Cauvin :

      Au niveau narratif, chaque actant a sa place et sa fonction dans l’armature du récit. Mais en surface, l’actant apparaît selon les modalités habituelles dans telle région ou ethnie. Il n’y a pas de héros en soi, mais le lièvre, le prince charmant… Bien plus, si le héros doit incarner la force (sur le plan discursif, il se manifestera sous les traits de l’éléphant ; s’il doit incarner la ruse, ce sera le lièvre, etc. en surface ces actants apparaissent selon un code précis, dépendant à la fois des habitudes culturelles et de la dynamique narrative du conte[4].

            Le sens hors texte est donc utile à la compréhension du sens immanent du texte. Mais tel que le dit Propp, il est utile de rester d’abord dans le texte, comprendre ses multiples articulations, le décrire, l’analyser, cerner les nuances de la chose racontée, saisir les différentes forces en présence, comprendre la thématique développée, etc., avant de vouloir l’expliquer ou dévoiler son origine. Ainsi l’analyse formelle doit toujours précéder l’analyse génétique.

            Nous allons à présent dans un premier temps, nous servir de l’étude structurale de Claude Bremond pour décrire le conte les mauvais génies du champ de mil. Dans un deuxième temps, tel que nous le dit Propp, nous allons comprendre ce conte en le réinscrivant dans ses origines. Mais, en quoi consiste la théorie de Bremond[5].

             L’objectif principal de la théorie structuraliste de Claude Bremond dans La Logiquedu récit est principalement l’établissement d’une analyse du récit qui décrit les interrelations de rôles au cours d’une action narrative. C’est surtout une étude et une description de la structure d’un large éventail de textes narratifs. C’est dans cette optique qu’il conserve, comme chez Propp, l’idée de fonction comme étant l’élément principal de la narration. La fonction reste : « l’action d’un personnage, définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue »[6].

C’est ainsi que la fonction d’un personnage ou son rôle dans le processus narratif devient l’un des points essentiels dans la compréhension de la Logique du récit. Bremond comme le dit Daniel K. Schneider : " Propose un modèle ternaire (idéalisé) "agent-processus-patient" pour saisir le processus narratif. La fonction n’est donc plus un élément isolé comme chez Propp, elle est implicitement liée à un patient et à un agent"[7]. Et, Bremond renchérit : « La fonction d’une action ne peut être définie que dans la perspective des intérêts ou des initiatives d’un personnage qui en est le patient ou l’agent. »[8]

Il révise la notion de séquence qui n’est plus, comme il le dit lui-même, une suite identique de mêmes fonctions. Mais fait des groupements qui font prévaloir dans le développement de tout processus narratif trois moments essentiels : La virtualité qui peut être définie comme une possibilité, une tâche virtuelle susceptible d’être exécutée ; Le passage à l’acte (ou non) visant à exécuter (ou non) cette tâche et finalement, l’achèvement de la tâche qui peut si l’action est menée à terme, amorcer une réussite ou si par contre, elle est interrompue, entraîner un échec. Le schéma qui suit résume si besoin est ces trois moments :

 

 
 

 

 

 

 

 

 

Dans cette triade (virtualité, passage à l’acte, achèvement) il est utile de rappeler que : "Jamais l’antécédent n’implique le conséquent, après chaque fonction, une alternative est ouverte : La virtualité peut évoluer en passage à l’acte ou demeurer virtualité ; le passage à l’acte peut atteindre ou manquer son achèvement[9]

En conséquence Bremond ne fonde pas sa Logique du récit sur une suite d’actions mais plutôt, sur un ensemble de rôles que jouent les personnages. L’objectif ici est de se demander si le personnage agit ou s’il est agi. Car, l’action du personnage se définit selon la fonction qu’il remplit dans le déroulement de l’intrigue.

Notre préoccupation majeure est d’étudier le rôle que remplit le personnage de la jeune fille du paysan dans le conte Moundang : les mauvais génies du champ de mil. Les questions auxquelles nous allons nous atteler à répondre sont les suivantes : est-elle patiente (sujet d’état) ? Dans ce cas, est-elle bénéficiaire d’amélioration ou de protection ? ou victime de dégradation ou de frustration ? Est-elle agent (sujet de faire)? Dans cet ultime cas, est-elle agent volontaire ou involontaire ? Est-elle dégradatrice ou amélioratrice ? ou alors frustratrice ou protectrice ?

 Le patient est tout personnage que le récit présente comme subissant l’action d’un agent de quelque ordre que se soit. Bremond le définit comme : "Toute personne que le récit présente comme affectée, d’une manière ou d’une autre, par le cours des évènements racontés"[10]. Ce rôle de « patient » sujet à des « interprétations subjectives »[11] donne lieu à des rôles beaucoup plus objectifs comme ceux de bénéficiaire et de victime. Ces deux dernières notions font place à d’autres de bénéficiaire d’amélioration et de protection et de victime de dégradation et de frustration.Mais, pour une bonne compréhension de ces notions propres à Bremond, nous allons essayer de les définir.

Le terme « bénéficiaire d’amélioration » concerne tout patient qui bénéficie du passage d’un état initial relativement insatisfaisant à un stade final plus satisfaisant. Le terme « victime de dégradation » est un processus contraire au premier, il concerne tout patient qui passe d’un état satisfaisant à un état de déficience ou d’insatisfaction. Ces deux notions sont des processus que Bremond qualifie d’«évolutifs » car elles tendent à modifier l’état de départ ou initial du patient.

        A coté de ces processus évolutifs, nous avons ce que Bremond nomme : « les processus contre-évolutifs » qui tendent non pas à modifier l’état initial du patient mais au contraire à le conserver. Ce sont ici les notions de bénéficiaire de protection et de victime de frustration. Ces dernières étant plus complexes, elles méritent d’être définies selon les propos de Bremond :

"La protection réalise un cas particulier d’amélioration : il ne s’agit pas de faire passer un patient d’un état de déficient actuel à un état plus satisfaisant, mais d’opposer à un processus de dégradation qui n’est pas encore amorcé ou n’a pas encore produit son effet, un processus contraire, capable de maintenir le patient dans son état satisfaisant actuel. De même, la frustration consiste, non pas à faire passer le patient d’un état satisfaisant actuel à un état moins satisfaisant, mais à opposer à un processus d’amélioration qui n’a pas encore produit son effet, un processus contraire capable de maintenir le patient dans son état déficient actuel"[12]

Enfin, ajoutons qu’un patient peut être toute personne qui se laisse dominer par les évènements en ne manifestant aucune réaction pour améliorer son sort. Cela peut provenir du fait qu’il est inconscient de son état ou qu’une force mystérieuse semble régir ses actes, l’empêchant ainsi de se prendre en main, de s’assumer.

L’agent est, dans le récit, toute personne que le récit présente comme menant une tâche virtuellement conçue, s’engageant activement ou participant à l’achèvement effectif de celle-ci. La notion d’agent pour être comprise doit être scindée en deux : l’agent volontaire et l’agent involontaire. L’agent volontaire est définit par Bremond comme : "Un accomplisseur de tâche"[13]. C’est toute personne qui conçoit un projet en vue de modifier un état qu’il juge insatisfaisant, passe à l’acte pour réaliser son vœu. Ce rôle pour Bremond est marqué par trois moments : dans un premier moment, il peut envisager une possibilité de tâche susceptible d’être assumée ; dans le deuxième, il peut décider de passer à l’acte ou non et finalement, il peut mener cette tâche à terme, réussissant à réaliser ce projet ou échouer dans sa réalisation parce qu’il ne l’a pas mené à terme.

L’agent involontaire est celui qui change une situation accidentellement. Cela provient du fait qu’il ne l’a « ni voulu, ni consenti ». Dans le même sens que le rôle d’agent volontaire, le rôle d’agent involontaire est aussi marqué par trois moments. La seule modification à apporter réside dans le fait que son acte reste involontaire depuis la virtualité jusqu’à la réussite ou l’échec de la tâche. A ces rôles, correspondent ceux d’améliorateurs et de dégradateurs qui sont les rôles des agents modificateurs et ceux de protecteurs et de frustrateurs qui sont les rôles des agents conservateurs. Passons donc à l’analyse de notre conte en commençant par le résumé du conte pour s’informer sur le rôle que joue notre héros la fille du paysan.

        Ce conte étiologique Moundang, narre l’histoire d’une jeune fille dont le père paysan possède un champ de mil près du royaume des mauvais génies. L’histoire s’ouvre sur une information importante : le mil planté est mûr et les oiseaux s’en donnent à cœur joie. Le paysan décide d’envoyer sa fille les chasser. Mais, lorsque la fille arrive dans le champ, elle se met à chanter pour chasser les oiseaux. Inopinément, les mauvais génies surgissent et  allument un grand feu en faisant frire des poissons sur le dos de la malheureuse. Ne pouvant dire la vérité à ces parents de peur de se voir punir par ces créatures, elle cache ses vives brûlures. Intriguée, la mère de la jeune fille décide de l’accompagner au champ. Ayant assistée à la scène habituelle, elle informe son mari qui se venge en tuant le chef des mauvais génies. Il réussit ainsi à faire fuir cette troupe cruelle.

Au regard de ce qui est raconté, la jeune fille est « patient » car l’histoire nous la présente comme affectée par le cours des événements. Elle est incapable de raconter les méfaits des génies car, comme on nous le dit : « elle avait peur que les génies ne la punissent d’avoir parlé ». Elle bénéfice donc de la protection d’un agent en la personne de son père qui la maintient dans la condition relativement satisfaisante dans laquelle elle se trouvait au début du récit. Ce dernier met ainsi fin au processus de dégradation amorcé.

Elle ne bénéficie donc  pas d’amélioration parce que le début du récit ne nous la présente pas comme manquant de quoique ce soit.  Nous pouvons dire que le processus de la fille se matérialise par le schéma suivant : 

 

 
 

 

 

 

 

 

Le résumé de ce schéma nous amène à dire que le conte est un conte cyclique tel que matérialisé par le schéma suivant :

                  

 

 

Le conte a ainsi trois séquences principales :

-       La séquence de l’envoi de la fille au champ pour chasser les oiseaux.

-        La séquence des maltraitances des mauvais génies sur la personne de la jeune. Dans cette séquence, c’est la mère qui joue un rôle important en prévenant son mari qui n’hésite pas à aller à la rescousse de sa fille.

-       Et la séquence où le père se débarrasse des génies.

          Il importe de voir sur le plan de la méthode Brémondienne le rôle de bénéficiaire de protection (la jeune fille du paysan). Avant d’entrer dans l’étude proprement dite, ce processus se déroule en trois phases marquantes schématisées comme suit :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ø  La jeune fille, éventuel bénéficiaire d’un éventuel processus de protection.

 

       L’« éventuel » est l’événementiel, ce qui dépend de certaines circonstances. Ici, le raisonnement reste hypothétique, c’est une possibilité pour l’état satisfaisant de devenir comme le dit Bremond : le point de départ d’un processus qui l’annule.  

      La fille du paysan, dans le conte Moundang Les mauvais génies du champ de mil, est victime de mauvais traitements des mauvais génies chaque fois qu’elle est envoyée au champ, par son père, pour chasser les oiseaux qui s’attaquent à la récolte du mil. Ces génies, font sécher des poissons, frits au préalable, sur le dos de la jeune fille. Ce qui lui cause de vives et sérieuses brûlures. La mère, qui est intriguée par le comportement de sa jeune fille, qui ne dit rien de ce qui se passe au champ lorsque son père le lui demande, l’accompagne au champ et assiste à la scène. La mère décide d’informer son mari de la situation.

Ø  L’enfant, éventuel bénéficiaire d’un processus de protection en cours

Ici, ce qui n’était qu’une simple possibilité s’amorce par un passage à l’acte. Le processus d’amélioration prend forme et pourra peut-être aller jusqu’à son terme. Mais, ce qui est à retenir ici, c’est qu’il est en cours.

 Le paysan est décidé de mettre fin aux mauvais traitements qu’administrent les mauvais génies à sa fille. Il se rend le lendemain matin au champ en compagnie de cette dernière. Il se cache sous un arbre pour assister à la scène. Comme d’habitude, après le chant de la jeune fille, les mauvais génies se lancent dans une danse infernale. Mais, le paysan, perspicace, remarque que la tête du chef des mauvais génies atteint la branche où il se trouve. Après avoir attaché ses cheveux autour de la branche, il jette de toutes ses forces un caillou qui sème le trouble parmi la foule des génies.

Ø  Bénéficiaire effectif d’un état satisfaisant résultant d’un processus d’amélioration achevé      

Ici, le processus de protection de la santé de la jeune fille qui était en cours n’est pas interrompu. Il va jusqu’à son terme, permettant ainsi à la jeune fille-patiente d’obtenir satisfaction espérée et souhaitée.

Le chef des mauvais génies, retenu par ses cheveux à l’arbre ne peut s’enfuir comme le reste de sa troupe effrayée par le caillou que le paysan jete de toutes ses forces au milieu d’eux. Il resta coincé et s’étire tant et si bien que sa tête finit par éclater. C’est ainsi que la fille du paysan bénéficia d’une protection de sa condition d’existence.

Parce que :

 « lorsqu’on lit les analyses des spécialistes qui veulent rester à l’intérieur de la seule étude du texte, on est à la fois intéressé et déçu. Intéressé, car ils mettent en évidence des rapprochements ou des oppositions entre certaines parties du conte ou certaines attitudes des personnages ; et l’on voit à quel niveau le récit se tient et forme un tout homogène. Mais on est aussi déçu car, finalement, cela ne nous apprend rien : rien en dehors du texte, rien sur l’homme vivant et proférant ce texte[14] »,

 parce que le folkloriste doit se doubler d’ethnologue, parce que l’analyse génétique ou la recherche des légalités formelles doit se doublée de la recherche des légalités historiques pour arriver à une compréhension féconde de la littérature orale traditionnelle en général et surtout de ces textes ou genres en particulier. Parce qu’enfin, pour rejoindre Propp, on doit parler de l’origine d’un phénomène après l’avoir décrit, nous allons essayer de comprendre le conte les mauvais génies du champ de mil, en le réinscrivant dans la culture de l’ethnie Moundang. 

 Les Moundang sont une ethnie du Nord Cameroun. Comme presque toutes les ethnies de la région, le système politique et social est organisé par classes sociales. En haut nous avons le chef ou Gɔ̀ŋ[15] et les notables et, juste en bas nous avons les autres : les paysans les forgerons et le reste. Le récit du conte ne narre pas un rapport de classes sociales. Si les Moundang sont de culture traditionnelle et sont aujourd’hui soit des luthériens ou des musulmans. Le respect considérable des traditions, fait des hommes de ce peuple des travailleurs qui n’hésitent pas tel que le montre le conte d’associer les enfants aux taches qui contribuent à les former en vue de la pérennisation des actes culturels et collectifs. C’est ainsi que dans toutes les familles, les parents s’efforcent, tant qu’ils peuvent, à se conformer aux idéaux du groupe en formant les garçons à occuper, devenus adultes, les fonctions de chef de famille et les filles, à celles d’épouses. C’est dans ce dessein impérieux que la fille du paysan est envoyée au champ de mil afin de, seconder ses parents à des tâches agricoles.

La culture du mil y est très prisée, car le mil, aliment très nourrissant, donne de la vigueur aussi bien aux hommes qu’aux bêtes (les bœufs et les moutons). C’est pourquoi, les hommes ne ménagent aucune terre susceptible de leur procurer ce mil précieux. Comme on le voit dans notre conte, le paysan va même se faire un champ dans des contrées lointaines c’est-à-dire près du royaume des mauvais esprits.

Les Moundang croient, quoiqu’animistes, à un seul Dieu appelé Màsíŋ.Aussi croient-ils aux génies et aux esprits qui sont parfois des messagers ou des sous-ordres de Màsíŋ. C’est ainsi qu’il existe de mauvais et de bons génies ou esprits. Ces derniers, comme nous le montre notre conte étiologique, vivaient auprès des hommes. Mais comme nous le montre toujours le conte, les relations entre les génies et les hommes ont pris fin lorsque dans une lutte visant à libérer sa fille, un paysan à réussit à tuer leur chef.

Outre la force et l’intelligence que le conte met en valeur, il donne à voir le caractère des Moundang, toujours près à lutter même contre les forces du destin pour protéger la vie et la santé de leur progéniture. Que ce soit pour la femme et l’homme Moundang, le trésor le plus grand reste et demeure leurs enfants. Car, ceux-ci sont leur bien le plus précieux et leur victoire devant la nature et la mort. C’est pourquoi, rien même les génies et les forces du mal ne peuvent réussir à vaincre un père aimant et décidé de protéger la vie et la santé de sa fille.

Ce conte en lui-même est toujours d’actualité, car les parents aujourd’hui n’existent pas à donner leurs enfants en pâture aux différentes adversités de la modernité au lieu de les y soustraire, pour les préserver du mal. C’est au terme de cette analyse que nous disons avec Propp que l’on ne peut parler de l’origine d’un conte ou d’un texte quel qu’il soit avant de l’avoir, dans son immanence, décrit.         

 

 

Arrivé au terme de ce travail, nous sommes parvenus à la conclusion selon laquelle on ne peut parler de l’origine d’un phénomène quel qu’il soit avant de l’avoir décrit. Nous sommes arrivé à cette conclusion en étudiant au préalable le conte Moundang les mauvais génies du champ de mil, avec la méthode structuraliste de Claude Bremond telle qu’exposée dans La Logique du récit et ensuite nous avons porté la casquette d’ethnologue pour essayer d’arriver à saisir les spécificités de ce conte. Cette double posture est aujourd’hui celle que devrait tenir tout chercheur sur les cultures orales africaines traditionnelles.

 

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

BREMOND, CLAUDE, la logique du récit, Paris, Seuil, 1973p.

CAUVIN, JEAN, Comprendre les contes, Paris, Classiques africains, 1980, 99p.

LES ELEVES DU LYCEE DE GAROUA, contes du Cameroun III, Yaoundé, CLE, 1978p.

N’DA K, PIERRE, le Conte Africain et l’Education, Paris, l’Harmattan, 1984, 193p.

NOKE, SIMON FRANCIS, - L’Education de l’enfant dans la société africaine traditionnelle d’après les contes du Cameroun, Yaoundé, Université de Yaoundé, Département de Littérature et Civilisations africaines, Mémoire de Maîtrise présenté et soutenu en 2006, 182p, inédit.

                                                    - Onomastique d’hier et d’aujourd’hui en Afrique noire. Continuité historique ou rupture identitaire : Une étude socio-ethnologique et esthético-littéraire de l’Anthroponymie des peuples Múndàŋ, Bàkà, bàndɛ̀ŋkuɔ̀p et Bafia du Cameroun,Yaoundé, Université de Yaoundé I, FALSH, Département de Littérature et Civilisations africaines, Thèse de Doctorat en Littérature orale traditionnelle, inédit, en cours. 

 

TSOUNGUI, FRANCOISE, Clés pour le conte Africain et Créole, Paris, CILF/EDICEF, 1986, 190p.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES MAUVAIS GENIES DU CHAMP DE MIL

 

Il y avait dans un village un homme qui s'était fait un champ de mil près du royaume des mauvais esprits. Quand le mil était mûr les oiseaux ne man­quaient pas de venir picorer les grains. Aussi, chaque jour, le paysan envoyait sa fille chasser les oiseaux,

« Ahé dju mo rak sor pabe ka !»

« Oh oiseau, ne mange pas le mil de mon père ! »

Dès qu'ils entendaient ce chant, les mauvais esprits accouraient apportant les poissons qu’ils avaient pêchés. Au pied de l'arbre, sous lequel se tenait la jeune fille, ils allumaient un feu et commençaient à griller leurs poissons ; ceci fait, ils se mettaient à danser et à chanter autour du feu :

« Tok sying ieko deb la habana pa kan oua, te bourlaka te bourlaka pka plaba... »

« Ici c’est le domaine des génies, ô homme de Kakabana, propriétaire du champ, te bourlaka te bourlaka, te bourlaka pka plaba… »

Quand les poissons étaient frits, ils faisaient venir la jeune fille et ils séchaient le poisson sur son dos, causant de sérieuses brûlures.                                                                         

Très vite les plaies s'étendirent et s’aggravèrent, mais chaque fois que son père lui demandait ce qui se passait dans le champ, elle lui répondait qu’il ne se passait rien, car elle avait peur que les mauvais esprits ne la punissent d’avoir parlé. Son dos ne fut bientôt qu’une plaie vive ; sa mère alors décida de l'accompagner au champ et assista à la scène, cachée dans l'arbre. Le soir même elle raconta tout à son mari.

Le lendemain matin le père et la fille se rendirent au champ de mil. Le paysan grimpa dans l'arbre, et la jeune fille se mit à chanter comme à l'ordinaire ; à la fin du chant les mauvais esprits vinrent et commen­cèrent leurs danses maléfiques et leurs chants :

« Tok sying ieko deb la habana pa kan oua. »

      Le paysan dans l’arbre, remarqua que la tête du chef des mauvais esprits atteignait la branche où il se trouvait; il se mit alors à tresser les cheveux du chef autour de la branche, et prit un gros caillou. La danse terminée, comme les mauvais esprits appelaient la jeune fille, le père lança le caillou de toutes ses forces au milieu de la foule; immédiatement les esprits affolés s’enfuirent ; mais leur chef, retenu par ses longs cheveux à l'arbre, ne put les suivre! Il tira tant et si bien qu'à la fin sa tête éclata en morceaux et il s'écroula mort.

  Voilà pourquoi depuis ce temps‑là les mauvais esprits se tiennent loin des hommes.

 



[1] Contes Moundang in Les Contes du Cameroun III, des élèves du lycée de Garoua, Yaoundé, CLE, 1978. Ce conte se trouve à l’annexe de cet article..

[2] C. Bremond,  La logique du récit, Paris, Seuil, 1973.

[3]  Propos de Cl. Lévi-strauss repris par P. N’DA K, le conte africain et l’éducation, Paris, l’Harmattan, 1984, p. 50.

[4]  Propos de J. Cauvin repris par P. N’DA K, idem, p. 51.

[5]  Les propos présentés ici, sont inspirés du mémoire de Maîtrise de Noké S. F,L’Education de l’enfant dans la société africaine traditionnelle d’après les contes du Cameroun, présenté et soutenu à l’Université de Yaoundé I, année académique 2005-2006.

[6] C. Bremond, Logique du récit, p.131.

[7] http : //tecfa. unige. eh /tecfa/publicat/shneider/story/node 45 html.

[8] Idem, C. Bremond,  p. 132-133.

[9] C.Bremond, op.cit., p.131.

[10] C.Bremond, Op.cit., p. 139.

[11] Idem, p. 162.

[12] C.Bremond, Op.cit., p. 169.

[13] C.Bremond, Op. Cit., p.176.

[14]  Propos de J. Cauvin cité par P. N’DA K, op. cit., p. 50.

[15] S.F.Noke, Onomastique d’hier et d’aujourd’hui en Afrique noire. Continuité historique ou rupture identitaire : Une étude socio-ethnologique et esthético-littéraire de l’Anthroponymie des peuples Múndàŋ, Bàkà, bàndɛ̀ŋkuɔ̀p et Bafia du Cameroun, Yaoundé, Université de Yaoundé I, FALSH, Département de Littérature et Civilisations africaines, Thèse de Doctorat en Littérature orale traditionnelle, inédit, en cours. 

 

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